jeudi 24 juillet 2014

Ramatou dit qu'avec Francescu ils avaient fini par m'appeler le fantôme, qu'elle est heureuse que je sois revenue et qu'entre nous finalement rien n'ait changé. Pour moi c'est plus qu'un soulagement, un véritable bonheur de les retrouver fidèles à mon souvenir, fous et drôles, tendres aussi. Nous pouvons encore nous confier les uns aux autres sans avoir l'impression de nous exhiber, en gardant toute notre pudeur; c'est ce qui me touche le plus quand je suis avec eux, cette juste mesure dans la parole conjugué à cette façon de faire très attention à ce que dit l'autre ou à ce qu'il tait. Je sais maintenant qu'ils resteront toujours mes amis.

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Juillet a filé à toute allure et nous prévoyons en catastrophe quelques sorties, à calvi ou dans le cap, mais concilier nos emplois du temps semble souvent impossible, comme si au lieu d'être des étudiants en vacances nous étions des premiers ministres coincés par mille engagements.

J'ai du mal à croire qu'il ne me reste plus que cinq jours de travail et un peu plus d'une semaine avant de partir pour l'Italie. J'ai hâte et en même temps je dois avouer que Bastia ne m'a jamais semblé si agréable. Se retrouver à l'Albert, pour une glace à l'Idéal, sortir prendre sa pause au jardin suspendu de la citadelle, regarder Capraia et l'île d'Elbe, la mer, le port, la ville, profiter du silence peut rendre une journée réussie.
Au travail je me suis aussi fait des copains avec qui je rigole bien; nous nous sommes liés tout naturellement dès le premier jour et j'ai pensé : faire ma vie avec ces gens là me plairait, j'apprécierai qu'ils soient mes collègues, mes voisins ou pourquoi pas des amis, voire les trois à la fois. Si je reviens après mes études (ce que je suis résolument décidée à faire) c'est sans doute ce que, de fait, ils deviendront. Nous voulons tous vivre ici.

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Je dis et pense beaucoup "nous". Pourtant je me souviens que quand j'étais petite mon cousin disait très souvent nous pour parler de sa bande du village et je trouvais ça insupportable, j'avais l'impression qu'en les incluant malgré eux dans ce cercle imaginaire il empiétait de force sur les autres. Surtout j'étais gênée à l'idée qu'ils puissent de leur côté ne jamais mettre mon cousin dans leur "nous" à eux tandis que pour lui leur unité ne faisait aucun doute. Peut-être que si ce souvenir me revenait plus souvent en mémoire j'emploierais moins facilement la première personne du pluriel.


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Je sais que la question d'où l'on va faire sa vie n'a aucune importance pour la majorité des gens et que celle qu'elle revêt pour moi peut sembler démesurée, au point d'en devenir même un peu ridicule. Je vois bien que pour beaucoup ici et ailleurs se fondent dans une espèce de gros tas informe, qu'il n'y a donc aucun enjeux à choisir l'un ou l'autre. Et je trouve ça très triste.


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S'ella si pudesse rivive 

un'ora di a so giuventu', 
vulerebbi vive, stasera, 
l'ora di quella sera luntana 
ch'eo ti vidi la prima volta, 
Cità d'ogni core, 
e a te, docile, m'abbandunai, 
briacu da l'umida voce 
di le to' centu funtane. 
O' Roma cara, o' a miò cità, 
si sempre quella? 
O forse ancu tu si mutata 
cum'ella mutò la miò stella? 
Ma no, chi u teni sempre caru 
quellu figliolu chi turno' 
-Mill'anni era durata l'assenza!- 
A u to senu callu e maternu, 
da inquiete generazioni. 


Toujours ultra-méga-giga décidée à partir vivre un temps à Rome quand même. 

dimanche 6 juillet 2014

Un jour ma mère a demandé à mon père de se raser la moustache, il a répondu d'accord mais alors on se marie et on fait un enfant. Ma mère a dit ok. Plutôt avoir un enfant que sortir avec un moustachu. Ça j'invente mais ça m'a l'air plutôt réaliste, je la vois bien se dire ça.
Je crois qu'elle n'a jamais trouvé mon père assez cool pour elle. En même temps elle n'a jamais su qui il était, elle n'a jamais pris la mesure de l'immense fossé le séparant de tous les hommes qu'elle avait ou pourrait rencontrer dans sa vie. Elle a confondu son amour avec de la faiblesse, sa sagesse avec de la lâcheté et sa discrétion avec un manque de personnalité ou d'audace.
Je vois parfaitement quel genre d'hommes l'impressionnent en revanche : profondément idiots, vantards, qui a cinquante ans sortent aussi souvent qu'à vingt et dans les mêmes lieux que ceux moitié moins âgés qu'eux.  
Je sais aussi qu'ils ne valent pas un tiers du quart de ce qu'est mon père, ni moralement, ni intellectuellement, mais ça ne me suffit pas. Je voudrais qu'elle comprenne que l'homme qu'elle a un jour eu la chance d'épouser est à la fois loin de ce qu'elle croyait et bien au-delà de ce vers quoi la médiocrité de ses goûts la pousse inexorablement. Je voudrais qu'elle regrette de l'avoir quitté, qu'elle s'en morde enfin les doigts, d'abord ce ne serait que justice et surtout parce que je déteste voir les perdants se prendre pour des vainqueurs. Quelque part l'idée que cet énorme malentendu sur l'issue du divorce de mes parents est à l'origine de beaucoup de mes disputes avec ma mère, du rejet radical qu'elle m'a si longtemps inspiré. 

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Une fois Victoria m'avait dit qu'elle n'aurait pas aimé avoir un père comme le mien parce qu'elle se serait quoiqu'elle fasse toujours sentie indigne d'être sa fille. C'était il y a longtemps, j'étais peut-être encore au collège mais ça m'avait tellement troublée que j'y repense encore souvent. Je me souviens lui avoir répondu qu'elle n'avait pas tout à fait tort.


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En rentrant chez mes parents, en l'occurrence chez ma mère, quelque chose en moi se relâche si fort que c'en devient presque douloureux. Tandis que je reprends ici ma place d'enfant (d'ailleurs je sais que c'est une blague et qu'elle ne durera pas mais cela ne m'empêche jamais de faire comme si c'était vrai) cette tension propre à la vie autonome des étudiants, à nos petits tracas d'intendance, tout ça s'évanouit dans un confort mou, cotonneux. Cet appartement est comme un immense nuage sur lequel je roulerais du salon à la chambre, de la chambre à la véranda, de la véranda à la salle de bain, en m'enfonçant toujours plus profondément dans ce luxe paresseux.


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Marre de voir des vielles de cinquante ans et plus habillées comme des putes des bois.


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Gros mystère autour de l'expression "manquer de réalisme" en matière de foot, telle équipe a manqué de réalisme.  Qu'est-ce que ça veut dire ? Des fois j'ai l'impression que les commentateurs l'emploient pour dire "manquer d'efficacité" mais d'autres c'est beaucoup moins évident. Si quelqu'un en sait plus qu'il me le dise.