samedi 26 avril 2014


Des fois avec Laura on s'imagine qu'on quitte tout, la fac, Paris, la France, qu'on s'inscrit à l'università Pasquale Paoli, qu'on vit au village, qu'on se donne rendez-vous au bar chez Cécile ou sur le cours. À l'été et au printemps on irait faire tout plein de ballades et l'hiver, quand il neigera, quand il fera trop froid, elle viendra regarder des films à la petite maison, chez moi. Fantasme champêtre et romantique par excellence s'il en est, mais fantasme tenace malgré tout puisque omniprésent depuis notre départ, depuis toujours.
Cette idée qui nous frappe de temps à autre qu'une vie heureuse n'est possible que là-bas, que Paris ne nous plait qu'en théorie ou que l'agrément que l'on éprouve parfois à y vivre reste dérisoire au regard de ce que l'on manque. Ces moments là, quand on se promène au soleil, quand on boit un verre au Jardin du Palais Royal, on se dit qu'il fallait bien partir un jour de toute façon et que notre retour sera d'autant plus heureux que l'on sera restées longtemps ici. 


La dernière fois que je suis rentrée nous fêtions la victoire des nationalistes aux municipales. Tout le monde était comme fou, les gens dansaient, chantaient, riaient, des personnes qui se connaissaient à peine se prenaient dans les bras les unes des autres et je me disais qu'abattre le mur de Berlin ne nous aurait pas rendus tellement moins fiers ni plus heureux. 
C'était un instant parfait comme on en connait peu dans une vie, j'imagine, et j'étais comme ivre à la simple idée de pouvoir un jour le raconter à mes enfants. Leur dire : j'étais là, j'y ai participé et si un jour vous doutez d'avoir un peuple, quelque chose à quoi vous raccrocher et en quoi croire quoiqu'il arrive, n'oubliez jamais que des miracles pareils sont possibles.

Aussi ce soir là tout était beau, d'une beauté presque surnaturelle et j'aurais pu tomber amoureuse de n'importe qui. Je m'appliquais à regarder le visage d'hommes plus ou moins jeunes et je leur découvrais à tous un air de famille, dans la façon de sourire, la manière de lever les sourcils ou juste à cause d'une étincelle taquine dans le regard. 
Puis je m'amusais à détailler l'"uniforme natio" (t-shirt noir, jean, chaussure de montagne/basket, doudoune north faith/veste stone island), je le trouvais incroyablement saillant chez tout un chacun et d'une classe inouïe en comparaison de ce à quoi mes yeux s'étaient habitués à Paris. Ça donnait à la foule un air cohérent, encore plus unie et compacte qu'elle ne l'était déjà. Mais nous avons fini par rentrer et j'ai dû terminer dans la nuit un commentaire que je devais rendre le lendemain. 
*

Le lendemain matin, donc, j'ai repris l'avion à l'aube et je suis retournée à la fac. Les cours me fatiguent, je voudrais n'avoir rien à lire, rien à faire et que les profs se taisent. Pouvoir penser tranquillement, en suivant ma pente, avoir le temps de me consacrer à ce qui m'intéresse et arrêter d'être effrayée à l'idée d'échouer. Je me souviens aussi avec beaucoup de nostalgie du temps où je m'imaginais avoir des facilités et où je croyais qu'il me suffirait de claquer des doigts pour que tout me réussisse, absolument tout. Je voudrais retrouver cette confiance en mes capacités intellectuelles qui semblent s'être totalement évaporée au fil de l'année, à force de notes moyennes (pas dégueulasses, juste moyennes) et de petits découragements.