Quand je m'imagine aller à la fac, je vois ça comme un échec ; certainement pas personnel puisque je suis incapable de définir la réussite, mais plus dans l'image que ça renverrait de moi à ma famille et aux autres. Les autres : ceux qui demandent "qu'est-ce qu'elle fait ta fille ?" et qui ne te diront jamais "en gros elle glande à paris, elle est sans avenir mais tu t'arrangeras sûrement pour lui trouver un post à la préfecture quand elle rentrera du continent - elle n'a aucun mérite, c'est une merde - c'est dommage c'était pas une gamine stupide" mais qui n'en pensent pas moins. Tu deviens alors la fille sans volonté, à coté de ton cousin Julien qui sera probablement un grand ingénieur ou de tes copines qui, si elles n'entrent pas à HEC ou ENS, ont tout de même plus d'avenir que toi. Pire, tu es celle qui aurait pu si elle avait travaillé, si elle l'avait voulu, entrer partout... devenir n'importe quoi. Le problème, c'est précisément que je n'ai pas envie de devenir quelque chose. Avant moi aussi je disais journaliste, ou encore plus flou, je veux être "dans la culture" en gros, je me voyais bien payé pour dire ce que j'avais pensé de tel film, tel disque, ou, et c'est plutôt drôle quand on sait ce qui m'est arrivé ces derniers mois, être dans la distribution de films par exemple. Ça n'est plus le cas. Plus du tout.
Au contraire, je me vois bien dans quelque chose d'extrêmement pragmatique, qui n'a rien avoir avec l'intellect, qui soit presque mathématique mais ni chiant ni trop prenant. Avoir un hôtel saisonnier par exemple me semble être parfait. Travailler six mois dans un cadre charmant, voyager et vivre les six autres.
Mais pour en revenir à la fac, le problème, c'est que déjà mon postulat de base est biaisé par un fait indéniable : je ne m'imagine pas aller à la fac. M'y inscrire pourquoi pas, mais ma mère à raison, si j'arrive jusqu'à la porte ça sera au moment où tous les autres sortent, et encore, c'est dans l'hypothèse où j'arrive jusqu'à la porte. En gros, c'est ce qu'elle appelle "la fac en sens inverse" qu'elle a pratiqué elle même assidûment pendant deux ans de droit avant de se lancer dans la vie active.
Si ma mère doit son parcours à la chance, mon père doit plus le sien à son intelligence et à sa force de travail. Dans tout ce qu'il a fait, il a progressé plus vite que les autres, principalement parce qu'il avait compris l'intérêt d'être son propre patron ou en tout cas d'avoir le moins de personne possible au dessus de soi. C'est ce qu'on m'a inculquée, c'est pour ça que j'ai du mal à envisager sérieusement le salariat (à long terme je veux dire) ce qui me posera certainement des problèmes plus tard.
Enfin bref, je m'égare. Si je ne vais pas à la fac, je n'irai probablement pas comme ma mère jouer à la belote dans les bars mais plus à la cinémathèque française, n'importe où où je pourrais satisfaire mon manque de culture causé par le manque d'infrastructure ici. Je ferai certainement des petits boulots par fierté, par envie d'indépendance où je finirai tout simplement par partir (ma dernière lubie c'est la Mongolie, voilà).
Maintenant quand je me projette en prépa, c'est pas la même, je vois ça : (dans le meilleur/pire des cas) le XVI (ou un cartier chiantissime), du travail toujours plus de travail finir par ne plus parler que de ça ne plus pensez qu'à ça mourir de stresse une fois par jour et manger chez mes cousins à neuilly le dimanche. Comment te dire, ça n'est pas la vie dont je rêve. D'un autre coté oui, j'ai envie d'une formation exigeante, d'un truc qui me pousse dans mes retranchements aussi, de rencontrer des gens qui, à priori, ne sont pas dénués d'intérêt. Mais où ça mène ? J'ai pas envie d'avoir l'ENS, j'ai pas envie d'être quoique ce soit, j'ai pas envie de rester dans un circuit pré-établit toute ma vie qui me mènera tout droit au paroxysme de l'ennui bourgeois.
Mais j'ai pas non plus envie de devenir une cloche, clocharde, sous les ponts, ou sans aller dans ces extrêmes ce genre de personne qui te font penser "elle a rater sa vie" mais on retombe sur le problème du début, je sais pas ce que c'est que RÉUSSIR sa vie.
Bon j'ai pris rdv avec la conseillère d'orientation mercredi pour remédier à cette crise existentielle.
Ok maintenant parlons sérieusement. La Meglio Gioventu, en français ça donne Nos Meilleures Années et cette traduction fait peur. Tu t'attends à un truc style les petits mouchoirs ou l'auberge espagnole, pardon si tu aimes, mais je trouve ce genre de cinéma gerbant, mais même si ça n'est pas ton cas, continue à lire là ce que je vais te dire c'est important. Bref, non, La Meglio Gioventu n'est pas un film à la con. Il dure 6h qui passe comme 30min. C'est une fresque, immense, resplandissante, on rit, on pleure, on comprend les 40 dernières années. On les comprend vraiment. Pas comme quelqu'un qui te dirait bouuuh méchants capitalistes ou bouuuuh méchantes brigades rouges, non, ce qu'on nous livre ici c'est une analyse tout en finesse, toujours juste.
Tu sais que de manière globale je me sens proche de l'italie, parce que chez moi on est un peu en italie, qu'on regarde la raï et qu'on écoute de la musique italienne, que je m'appelle Paola pour Paolo Conte, que ma chanson préférée quand j'étais petite c'était Alla Fiera dell'Est que j'ai écouté en boucle jusqu'à en dégouter mes parents, mais c'est pas une histoire personnelle là, c'est une histoire que tout français que tu es, tu peux parfaitement comprendre. Des tonnes de points feront certainement échos à ta vie, à celle de gens que tu as connu, à l'histoire de tes parents et de tes grands-parents. Alors regarde ce putain de film parce que tu ne le regrettera pas, jamais, jamais jamais.
Allez après tu me dis si tu es team Nicola ou team Matteo.