mercredi 24 octobre 2012

come la neve non fa rumore

Sarah un jour m'a dit "c'est fou, plus on reste avec les gens, plus on se rend compte à quel point ils sont laids, on voit leurs défauts de plus en plus gros, jusqu'à ne plus voir qu'eux, et on s'y fait, mais on ne voit quand même qu'eux".
J'avais souri, gentiment, sans rien dire, ne sachant trop quoi répondre, un peu effrayée à l'idée que ses yeux se posent de nouveau sur moi. Qu'est-ce qu'elle voyait, au juste, en me regardant ? Je préférais ne pas le savoir.
Mourad, lui, rigolait comme on le fait parfois devant une franchise aussi abrupte... en partie parce qu'on ne sait pas quoi faire d'autre, tant elle nous déroute, c'est un comportement assez rare pour qu'on n'y soit plus vraiment habitué et il nous prend immanquablement au dépourvu. Mais ça n'était pas son cas, il riait parce qu'il trouvait ça drôle.
On s'est tous trois assis dans cette petite pente derrière le jardin. Il n'y avait personne, pas de bruit. C'était le début de l'été, le soir, juste après mangé. Il faisait bon ; pas chaud ni froid ni humide, bon. "Regarde Mourad, son nez bizarre, crochu, son menton trop en avant, sa silhouette tordue et invraisemblable, son coté un peu bossu..." Et Mourad continuait de rire.
Il n'en avait rien à foutre, littéralement ça ne l'atteignait pas, on aurait aussi bien pu parler d'un autre ; moi, je priais pour qu'elle ne se mette pas à énumérer tous mes travers comme ça, même si ça n'est certes pas parce qu'on les tait que les autres ne les voient pas. Ça ne change donc absolument rien et Mourad avait raison de rire, mais moi je ne voulais rien entendre, je voulais continuer à faire l'autruche comme toujours.
Qu'on se le dise, être moche est une chose mais blasée de l'être en plus, c'est trop pour moi. Du reste, ça n'arrange rien. Je ne suis même pas sûre qu'on puisse considérer ça comme un problème étant donné l'absence totale de solution.
Je déteste les gens qui disent que tout le monde peut s'arranger, c'est faux. Il y a des personnes à qui rien ne va. Vous pouvez les tourner dans tous les sens, essayer n'importe quoi, ils resteront laids. On dirait que c'est en eux, que c'est leur essence même.
Malgré tous les efforts qu'ils font, il y a toujours un truc qui foire et ça gâche tout le reste, c'est inéluctable. J'aurais plutôt eu tendance à nous ranger dans cette catégorie là, Mourad et moi.
En un sens il m'était supérieur car lui ne faisait pas semblant d'y être indifférent, ça n'était en aucun cas une posture. Moi, je ne voulais juste pas y penser de peur d'en deviner les conséquences, trop graves, trop lourdes, ce qui risquaient d'altérer ma bonne humeur naturelle.
Je me demandais d'ailleurs si on pouvait continuer à rire en ayant pleinement et constamment conscience de sa laideur ; non, probablement pas. J'imaginais alors mon visage crispé pour toujours, figé dans l'horreur de se savoir hideuse, c'était terrifiant. J'étais vraiment ébranlée par cette pensée mais je ne bougeais pas, je ne parlais pas, c'était imperceptible à l'oeil nu et j'en tirais une vérité générale comme quoi plus les chocs sont forts moins on les perçoit.
Finalement j'en voulais à Sarah d'avoir aborder ce sujet. Après tout nous aurions pu parler des strokes ou de séries : des sujets légers, futiles, en un mot sympas et qui n'engagent à rien. Je l'excusais en imaginant que, n'étant pas autant concernée que nous, elle ne s'était peut-être pas vraiment rendue compte du genre de réflexions que pouvaient engendrer ses propos. Cette idée fût corroborée quelques instants plus tard par le naturel avec lequel elle passa à autre chose, comme si on ne s'était rien dit d'important.
Tout à l'heure dans le métro j'ai repensé à ce moment, j'ai essayé de l'imaginer comme étant la meilleure scène d'un film. Je me demandais quels plans j'aurais pu faire pour montrer le physique disgracieux de Mourad, la panique sourde dans mon regard et l'ingénuité de Sarah puis le contraste entre la violence de ses propos, le détachement de Mourad et l'agréable quiétude du décor. C'était tellement rassurant de rejouer la partie en ayant pris le contrôle sur tout, sachant d'avance que Sarah n'allait rien dire sur moi, que c'était bientôt terminé et que ça se finirait sans heurt. J'avais l'impression d'être la monteuse de ma propre vie et c'était bien.


jeudi 18 octobre 2012

X Factor (honnis soit qui mal y pense)

Quand on parle des mecs avec David, et c'est un de nos sujets favoris, on se place instinctivement du côté des jurés comme si eux ne nous jugeaient jamais, ne se faisaient pas d'idée en nous voyant ; c'est une position confortable, rassurante. On passerait volontiers tout notre temps à détailler le moindre de leurs gestes, pointer ces choses à la limite de l'imperceptible qui varient d'un jour l'autre et en fonction desquelles on donne des malus ou des bonus, comme aux voitures plus ou moins polluantes.
Mais ce qu'on aime avant tout c'est essayer de déceler chez eux le XFactor, ce qui fait que lui, oui, lui, là, qui n'a pourtant l'air de rien, pourrait se révéler être parfait pour nous ; c'est au fond de son être mais le pauvre ne le sait pas encore. Toute notre attention est alors mobilisée sur cette personne qui n'a rien demandé, on veut voir comment elle évolue et au fond notre intérêt est un peu superficiel puisqu'on imagine mal aller lui parler, l'influencer ou le découvrir tel qu'il est au-delà de ce qu'il a l'air d'être.
Et là est le problème.
Un jour que je montrais Perfecto à David, d'une façon certes pas discrète mais enfin passons, il m'a dit "j'espère qu'il ne pense pas que tu veux coucher avec lui". Ça m'a surprise parce que je ne l'avais jamais envisagé comme ça. Pas question ici d'une espèce de pudibonderie mal placée, ni d'être coincée du cul, ni rien du tout mais enfin ça tapait totalement à côté pour le coup.Et c'est là que je me suis rappelée d'une discussion que j'avais eue à propos de Godard et de Lynch et de leur utilisation de la télévision ; J-A m'avait dit : la supériorité de Lynch sur Godard vient du fait qu'il arrive à nous intéresser à l'évolution purement esthétique de la série, on a envie de voir pour voir. Bin voilà, moi j'ai souvent envie de voir pour voir. J'envisage rarement les gens comme des êtres qu'il faudrait prendre la peine de connaître, c'est leur devenir esthétique qui m'intéresse.

mercredi 17 octobre 2012

Möglichkeit


"V. m'a beaucoup déçu. Progressivement je l'ai vu s'affaisser dans mon estime, jusqu'au choc final, à la chute. La première fois que je l'ai senti décroître, c'est lorsque je l'ai vu, lui toujours si solitaire et presque fantasmatique, lui, passant comme une ombre, remarqué de personne, comme si j'étais le seul à m'apercevoir de sa présence, lorsque je l'ai vu parler à un garçon. 
Tiens, me suis-je dit, pas si seul que cela, au fond... Bien qu'il fût explicable qu'il parlât avec quelqu'un, qu'il eût besoin d'un renseignement ou envie se de détendre. Puis la deuxième fois, avec un autre garçon et là je crus entendre qu'il parlait politique. Cela m'a réellement déçu et même choqué. Un fantôme qui parle aux gens, et surtout qui parle politique... "
Journal, Jean-René Huguenin. 

Hier David regardait "Nustrale" (Nustrale, c'est un mec de ma licence qui a une tête de corse et qui l'est peut-être, enfin on sait pas, on hésite) par le hublot d'une porte. On n'était pas posté devant  juste pour voir Nustrale, je vous rassure, on est pas encore des stalker fous, en fait j'avais cours dans cette salle après et le hasard a fait qu'on était un peu en avance, voilà.
Bref, il l'observait entrain d'aller parler au prof. Nustrale ne l'avait pas vu.
Puis subitement David s'est retourné vers moi, scandalisé, "Paola, il a été sociable ! Il a dit un truc rigolo ! Il a discuté et fait rire des gens !" en même temps qu'il parlait je sentais la déception monter en moi, de plus en plus ; je jugeais cette réaction totalement irrationnelle et en même temps tout à fait familière. Je me suis demandée où était le drâme, je l'ai même dit à David : enfin tu nous as vu ? on passe notre temps à être rigolo, on est que ça, rigolo, il a le droit d'être rigolo lui aussi ! Mais bien sûr c'était différent.
De le voir là, parler à quelqu'un d'autre, ça altérait cette relation tacite entre nous, faite d'observations réciproques, de regards furtifs. Ça n'était plus lui et nous, c'était lui, les autres, et nous derrière la vitre : c'était triste et révoltant.
On s'est retourné dos à la porte au hublot, le temps d'essuyer ce revers, pensant du reste que comme tous les élèves il sortirait par l'autre porte, située au fond de la salle, ce qui n'était pas très logique c'est vrai, celle d'où on l'observait étant beaucoup plus proche de lui... mais comme personnellement j'aurais préféré marcher un peu plus qu'ouvrir cette porte pour mes seuls besoins j'ai appliqué mon raisonnement à sa personne... et ça n'a pas marché.
En entendant le bruit de la porte derrière nous s'ouvrir on s'est retourné en même temps, pas juste avec un mouvement de tête, non, on a vraiment pivoté et on s'est retrouvé face à Nustrale.
On a souri, je crois, enfin moi j'ai souri mais sûrement David aussi, et puis on s'est remis comme on était, comme ça, sans rien dire. Il est passé devant nous, et, arrivé au niveau de l'escalier il nous a jeté un regard bizarre, très rapide.
On n'a toujours pas tranché sur ce geste, sa portée hostile ou amicale, son sens, qui pouvait être "mais arrêtez de me regarder, bordel !" comme un petit signe sympa, juste pour nous montrer que lui aussi il pouvait nous regarder. Enfin bon on est resté là, un peu noix, et on a parlé d'autre chose. 
Et puis aujourd'hui je suis allée à mon cours optionnel d'introduction au concept de possibilité, c'était la première fois.
Il est donné par monsieur S. et j'aimerais avant tout dire deux mots sur monsieur S.
Monsieur S., qui est aussi mon prof de TD en philo moderne, me fascine littéralement. Il parle en marchant, il ne s'arrête jamais, des fois je me demande s'il nous parle ou s'il se parle. On pourrait croire que je dis ça de façon péjorative, comme si je disais "mais enfin c'est à nous qu'il doit faire le cours ce con !", c'est d'ailleurs un peu ce que je pensais de ma prof de philo en hypokhâgne, sauf que là ça n'est pas du tout comme ça que je ressens les choses.
Je le vois parler, être transcendé parce qu'il dit : on dirait que sa pensée se forme au moment même où il parle, ce qui est d'ailleurs sûrement faux, alors je vais essayer d'être plus précise encore : on dirait que chacun de ses mots est susceptible de la remettre en question, et qu'il l'énonce et la questionne en même temps.
Moi je suis assise, je le suis dans ses vas et vient perpétuel et j'ai l'impression que c'est un privilège d'être là, de pouvoir le regarder réfléchir à haute voix. Donc voilà, tout ça pour dire que Monsieur S. et son amour obsessionnel pour Heidegger participe grandement à mon plaisir d'aller à la fac.
Mais revenons en au cours optionnel.
J'étais installée déjà quand  Nustrale est passé dans le couloir. J'étais soulagée qu'il ne soit manifestement pas dans ce cours parce qu'après l'épisode de la veille je m'étais dit qu'il valait mieux l'ignorer, un temps du moins.
Évidement, une minute plus tard je le vois revenir sur ses pas et entrer dans ma salle, il s'assoit dans ma rangée mais loin de moi alors qu'il y avait une place juste à coté, ce qui me vexe un peu d'autant plus qu'elle est finalement prise par un type d'une intelligence remarquable mais d'une laideur qui ne l'était pas moins.
Enfin bref le cours se passe et je résiste tant bien que mal à l'irrépressible envie de tourner ma tête vers Nustrale. Puis monsieur S. se met à parler du terme "möglichkeit" et il dit quelque chose comme "vous comprenez das möglich c'est cette douce inclination, ce "bien-aimer", cette espèce de tendresse mais qui n'est pas seulement de vous vers la chose en question mais qui est aussi de la chose en question vers vous, oui, c'est réciproque." et moi qui fond littéralement, mais c'est ça, c'est ça ! qui jette un regard affolé vers Nustrale, toute heureuse de pouvoir enfin le définir, et monsieur S. de continuer "là, même si vous n'en avez rien à faire de ce que je vous dis, il faut sentir les choses, même si vous ne m'écoutez pas, que vous êtes perdus dans vos pensées, il y a le son de ma voix qui les intone et repensez y vous trouverez des applications très concrètes" et j'avais envie d'hurler mais oui ! je les trouve monsieur ! je ne trouve même que ça !
Finalement je me suis calmée et j'ai réfléchis un peu plus posément, si ça se trouve ce que disait monsieur S. ne faisait écho à ce que je pensais seulement parce que j'en avais envie et c'était mon envie qui informait ses paroles et pas l'inverse.
Puis encore après je me suis dit que réfléchir à tout ça n'avait aucune putain d'utilité et je me suis réjouie du lancement du "monte doru cinéclub" autrement dit du fait qu'on se réunisse dès aujourd'hui tous les mercredi chez moi pour voir un film, ce qui suffisait amplement à me rendre heureuse. Möglichkeit ou non.

vendredi 12 octobre 2012

Che sensazione di leggera follia sta colorando l'anima mia.

Lundi soir en rentrant de la fac il y avait deux filles en licence philo-socio à coté de moi dans le métro. J'entendais leur discussion : elles ne parlaient que des cours, elles émettaient des jugements sur les profs, elles disaient que l'an dernier elles travaillaient sans vraiment en ressentir le besoin, juste pour se donner bonne conscience, mais qu'aujourd'hui c'était devenu vraiment dur, alors elles se sentaient obligées de prendre de l'avance et ça leur prenait beaucoup de temps, pour ne pas dire tout leur temps, mais ça leur plaisait tellement etc...
Bon j'avoue avoir décroché à un moment parce que j'étais quand même très occupée par la présence de Pastore. Pastore c'est ce type dans ma licence qui est étranger et qui s'habille un peu comme pour partir chasser le sanglier dans le Niolu, inutile de préciser qu'esthétiquement parlant c'est très agréable pour mes yeux qui n'en peuvent plus de saigner devant ce manque absolu de virilité, ces mecs mi figue mi raisin toujours plus nombreux. Donc bref je me reposais la vue avec Pastore (u pastore = le berger en corse, rappel linguistique) tout en pensant que la vie de ces deux filles avait l'air vraiment chiante et qu'en comparaison je m'amuse, je vais, je viens, je lis par amour, je rentre chez moi, je vais au concert de King Krule, je dors, je travaille un peu aussi mais comme rien ne me force objectivement à le faire j'ai l'impression que c'est par plaisir et donc ça n'entrave pas mon bonheur. Ensuite j'ai repris la discussion au moment où elles ont commencé à envisager l'ENS, j'ai souri. D'un coup elles représentaient tout ce que je ne serai jamais et je ne pouvais pas m'empêcher de les détester un peu, de loin, comme je déteste ces gens que je ne connais pas ni ne connaîtrai jamais mais qui sont le symbole parfait des voies qu'inconsciemment ou non j'ai toujours fuis.
Décidément Pastore était bien plus attrayant, je me suis reportée sur lui, j'ai écouté Lucio Battisti.

Précisions :
non en fait, on ne peut pas dire que je les ai détestées, même de loin, parce que pour ça il faudrait vraiment que je me sois sentie concernée par leur existence et ça n'a pas été le cas. Disons plutôt que j'ai esquissé un mouvement de recul, comme on pourrait le faire devant quelque chose qui ne nous semble absolument pas fait pour nous, qui ne nous ressemble pas au point de nous dérouter.


dimanche 7 octobre 2012

"Quand Gilles se retrouva seul ce soir là, il rêva longuement. Il rêva en frissonnant, à propos de Cyrille Galant, à ce qu'était l'amitié : très jeune, il avait cru cette passion plus forte que celle de l'amour. Il s'était écrié parfois : "l'amitié est plus sûre que l'amour." Pourquoi avait-il prétendu cela ? A cause de ses émotions et de ses actions de la guerre. Il avait satisfait dans les tranchées plusieurs fois, et presque continuellement à de certaines périodes, un besoin poignant qu'il devait bien appeler la passion de l'amitié. Ce n'était point seulement l'instinct de conservation pressé par les circonstances jusqu'à devenir un réflexe de réciprocité, pas seulement l'instinct de la tribu ; non, il avait risqué sa vie avec plus de ferveur pour celui-ci que pour celui-là. 
Qu'était-il advenu de ces amitiés ? La mort était passée, mais aussi la paix. Deux ou trois hommes avec qui il avait cru tout mettre en commun, n'avaient plus de lien apparent avec lui qu'une lettre de loin en loin ou une rencontre embarrassée. Le sentiment qui les avait unis se voyait impuissant devant la médiocrité des conditions que la paix telle qu'elle était comprise en France leur faisait, et ce sentiment se repliait, pudique. Ne restait-il donc rien de ces amitiés ? Il leur restait le rayonnement qui était passé dans l'éternel."
Gilles, Pierre Drieu la Rochelle. 

(suite de l'extrait sur mon tumblr (oui parce que maintenant que j'ai du temps libre et de nouveau envie de garder une trace des livres que je lis, films que je vois, musiques que j'écoute, bref de tenir une sorte de journal de bord culturel, j'ai repris un tumblr) plus précisément ici, je te conseille d'y aller plus que de lire ce blog parce qu'autant ce que je dis n'est jamais super intéressant autant je sais mes goûts quasi infaillibles, et je progresse même encore beaucoup, mon instinct, ma sensibilité s'affine. Toute modestie mise à part.) 

Finalement, on a toujours tendance à mésestimer le copinage au profit de l'amitié, qui n'existe pas, ou en tout cas pas comme on aimerait ni même comme on le croit. J'aime l'amitié aussi mal que mon village ou l'été, autrement dit je l'aime pour l'idée que je m'en fais mais jamais vraiment pour ce qu'elle est. L'été, c'est le temps libre, les crépuscules à St Christophe, les soirs où l'on rigole sur la "route du bas", les voyages, le Minnesota ; jamais l'ennuie, la chaleur épouvantable, cette violence inhérente à la saison en elle-même. Pourtant, objectivement, il y a plus de ça qu'autre chose. J'adore l'été une fois qu'il est décanté de tout ce qui n'allait pas comme j'adore mon village une fois oublié les habitants que je déteste, la torpeur qui y rend les gens si mauvais et vils, le sentiment d'y être tout en n'y étant si peu intégrée parce qu'inapte à préférer le bar plutôt que ma solitude, ce genre de choses.
L'amitié dans l'idée c'est un peu ça, on met des années à construire quelque chose qui y ressemble, on se persuade que ça durera toute la vie précisément parce qu'on s'est éreinté à accepter l'autre sous toutes ses facettes, on se dit qu'à partir de maintenant plus jamais il ne pourra nous décevoir et pourtant si, un jour, ça arrive. On en est malade un temps, on est désoeuvré devant la vitesse à laquelle les choses vont puis on s'y fait et on oublie, partiellement du moins, car il ne reste que les beaux moments. On est alors très heureux mais on ne nous y reprendra pas deux fois et il sera beaucoup plus dur de s'attacher au prochain, si prochain il y a.
La seule et unique fois où je me suis disputée avec Laura j'étais tellement petite que j'aurais du mal à dire quel âge j'avais. Peut-être cinq ans mais sûrement un peu moins. Bref, nous nous étions donc disputées pour X raison, elle était partie de chez moi, en colère, sa soeur Marie l'avait suivie. Une demie heure plus tard je voyais Marie revenir en courant, en pleurant, pour m'annoncer que Laura était bloquée au Pughjale, en crise parce qu'une chenille lui était montée dessus. Ni une ni deux, moi aussi en larme, je suis partie à sa rescousse. Cette histoire est pour moi la définition même de l'amitié.
D'ailleurs j'ai tendance à mesurer mon amitié en fonction de ma capacité à pleurer à cause ou pour la personne en question. C'est comme ça que je peux dire avec certitude que la dernière véritable amie que je me suis faite n'est autre que Ramatou.
Le copinage c'est beaucoup plus simple. Vous n'attendez rien de l'autre, l'autre n'attend rien de vous, si un jour une chenille vous menace le copain/la copine ne viendra certes pas vous secourir mais enfin vous étiez prévenu, c'était dans le contrat dès le départ. On se rapproche soudainement parce qu'on se découvre un point commun, plus ou moins ténu et éphémère ; ça ne durera pas de toutes façons alors on prend ce qu'il y a a prendre, voilà tout.
Il y a des jours où je m'en veux d'accepter, voire d'approuver des choses aussi peu exigeantes que le copinage (mais où est passée ta putain d'intransigeance ? qu'est-ce que tu fous là, c'est d'une bassesse effroyable), d'autres où je m'en félicite (bravo Paola, décidément, tu sais vivre en fonction des principes de réalité les plus élémentaires, félicitations !) pour toujours finir par y trouver mon compte, sans perdre de vue que ça n'est pas ce que je peux (idéalement) me souhaiter de mieux.