dimanche 27 janvier 2013

Toujours ce même malaise devant les universitaires engoncés dans leurs costumes, rigides, parfois jeunes mais déjà l'air si vieux. 
R. P. qui s'approche de l'une de nous pour dire qu'un mec comme lui est certes resté toute sa vie sur les bancs de la fac mais qu'il en sait bien plus qu'un autre qui aurait fait quatre fois le tour du monde ; on sent qu'il tente de nous impressionner, de nous donner le vertige, presque de nous faire peur avec son érudition. Je ne sais toujours pas si je dois l'admirer ou m'en moquer. 
Le contraste avec monsieur M. et son éternel pull gris informe, sa manière de ponctuer ses phrases, même les plus simples, par des "mais vous comprenez, ça vous convient ?" (comme si on pouvait lui répondre "non, désolé mais on est pas d'accord, là franchement c'est pas possible") et ses heeeuuu un peu gutturaux, rauques, inattendus. Il ne nous dit jamais ce qu'il a fait avant d'enseigner ici, ou d'acheter ses livres, ni que ses méthodes sont les meilleures et je l'imagine bien entrain d'écouter Nick Cave dans son salon en pensant à l'avenir de l'U.E. J'aime beaucoup monsieur M., je crois ; je l'ai aimé dès qu'il est entré dans l'amphi, juste parce qu'il ressemblait à tous les profs que j'avais aimés avant - et ma constance  en la matière est épatante, tenez vous le pour dit. 

mercredi 16 janvier 2013



Je ne sais pas comment font les gens pour se faire des amis. Les voir une fois dans un amphi et puis les retrouver le lendemain, tous les autres jours, petit à petit le week-end. Ça fait plus de quatre mois que j'habite à paris. Sans compter mes camarades de prépa que je fréquentais par nécessité, cette fille avec qui je suis restée deux semaines en philo et qui a même manger une fois avec nous (mais qui ne nous a plus donné signe de vie ensuite) et l'erasmus italien qui venait souvent me parler, je crois qu'on peut dire que je n'ai rencontré personne. D'un coup je trouve ça effrayant.
Hier on essayait de comprendre avec David pourquoi on avait tellement de mal, lui pas tant à rencontrer des gens, il sort beaucoup, mais à nouer un lien avec eux qui pourrait aller croissant jusqu'à, bon, sans parler d'amitié, une camaraderie régulière... On a finit par remettre ça sur le compte de notre clanisme. On est monté ensemble, on reste ensemble, entre nous.
Déjà y a qu'à nous regarder. Si je voyais un mec parler un mot chti deux mot français je trouverai ça d'une beauffitude incroyable. Nous on fait ça aussi pourtant, un mot corse deux mots français, mais ça ne nous paraît pas blâmable puisqu'on a été élevé dans l'idée qu'il valait mieux être corse que français. Déjà on partait mal.
Au début je trouvais ça rigolo cette manière de resserrer toujours un peu plus le cercle. Maintenant je vois Laura : deux ans qu'elle est là et c'est plus ou moins toujours pareil. Tu m'étonnes qu'elle ait tellement l'impression que les choses stagnent. Je n'ai pas envie de continuer  à vivre dans un petit bastia reconstitué et je ne sais pas comment m'en extraire sans abandonner les gens qui en font partie.

vendredi 11 janvier 2013


«Vouloir se caser, c'est vouloir se procurer à vie une écoute docile. Comme un étayage, la structure est séparée du désir : ce que je veux, tout simplement, c'est être "entretenu", à la façon d'un ou d'une prostutué(e) supérieur(e).»
Roland Barthes, Fragment d'un Discours Amoureux.

«L’une des plus stupides conventions de ce monde est de voir le bonheur sous la forme d’un couple. Les vraies amours sont toujours déchirantes ; les autres ne sont qu’ennui, plaisir hideux, mensonge et haine. Les vraies amours sont les amours impossibles, nous ne vivrons jamais ce que nous rêvions. N’importe qui croirait que nous avons tout perdu, mais nous, nous savons que nous avons tout sauvé.»
Jean-René Huguenin, Journal.


L'idylle entre Vanina M. et Vincent V. a officiellement débutée après plus d'une semaine d'intrigues intensives, un mercredi matin, pendant un cours d'EPS à la piscine municipale. Ici, sur ce baiser maladroit et langoureux, commence l'ère des couples. Tous les 6ème1 s'en souviennent. Pourtant à l'époque aucun d'entre eux - ou pour être honnête d'entre nous, puisque j'en étais - ne comprit l'importance que les années donnerait à cet évènement : c'est à cet instant précis que nous sommes collectivement entrés dans l'adolescence.
Des choses décisives se sont jouées dans les semaines suivantes, sans que personne n'y fasse vraiment attention non plus. Il faut dire que la conscience d'avoir à grandir en vase plus ou moins clos avec les gens que nous fréquentions alors nous faisait défaut. On ne se doutait pas que chacun de nos actes pouvaient être déterminants.
Or, ceux qui n'ont pas commencé leur carrière amoureuse à ce moment là ne l'ont fait que bien plus tard, à la fin du collège ou au lycée. Ça n'était pas une question de beauté, ça ne l'est pas souvent, mais de correspondances.
Chez ceux que la chose intéressait, pré-requis indispensable, on distinguait deux spécimens distincts : les premiers plaisaient à ceux qui leurs plaisaient, ils se mettaient en couple ; les seconds ne plaisaient pas à ceux qu'ils convoitaient : ils restaient célibataires et parfois frustrés de voir des gens objectivement moins séduisants qu'eux enchaîner les conquêtes, simplement parce qu'ils avaient le chic pour s'enticher des bonnes personnes - celles à leur portée.  
L'autre jour nous en avons reparlé avec Nastassja et nous nous étonnions de cette ligne droite que semble tracer la vie sentimentale des gens qui se sont mis en couple en 6ème. Vanina M. a été atteinte d'une leucémie, ce qui l'a peut être interrompue un temps (et encore, qu'en sait-on ?) mais tout est désormais reparti comme avant. 
Enfin que Dieu nous bénisse, ce genre de constance n'est pas prête de nous contaminer !
D'abord parce que ceux qui nous attirent ne nous plaisent pas, et vice versa, ce qui est un frein considérable pour les ânes de Buridan que nous sommes. Il y a d'un côté les garçons dits "savants" (catégorie 1), de l'autre le degré zéro de la culture (catégorie 2), que Ramatou a un jour appeler "les vrais" - et c'est une dénomination qui est restée. Entre les deux une sorte de sagesse pratique, assez molle en général. Disons que pour ces trois là tout est une question de paramètre.
Au dessus se trouvent les professeurs charismatiques. On peut les aimer pieusement, sans se poser trop de questions puisque la non-réciprocité est entendue dès le départ. Ça s'alimente facilement, ça peut durer très longtemps : c'est un amour de paresseuses qui se ménagent. 
Notons qu'un acte unanimement considéré comme barbare peut remédier à une image d'intellectuel trop sage et faire basculer quelqu'un de catégorie 1 vers la catégorie 2, ce qui est bien. Enfin, à ce niveau là on touche plus à l'expérience de pensée qu'autre chose. Il y a peu, j'ai vu un homme de catégorie 1 dont je sais qu'il a jadis eu des comportements déplacés, disons violents. Je lui ai trouvé un sourire désarmant mais il était moins attirant que le patron du bar dans lequel nous étions. 
Certes, le patron du Z. est un miracle, avouons le. Je voudrais que tout le monde le sache et que tout le monde le reconnaisse comme tel. Il est supérieur. Follement romanesque, tout à fait triste. En un mot comme un dix : il est fascinant. Je ne l'ai pas vu souvent, c'est vrai. Du reste, je serai incapable de le supporter plus d'une semaine à temps plein... Mais enfin son existence en elle-même suffit à m'enchanter, ce qui n'est pas rien. Et le Patron du Z. à l'extérieur de son bar, comme monsieur C. hors du lycée, ne m'intéresse pas vraiment. En revanche aucun interdit moral n'existe vis-à-vis du patron du Z. C'est important. Mais là je m'égare. 
À l'origine, mon propos était de constater que ça ne nous dérangeait pas tellement, Nastassja et moi, de n'être pas casée, ni même d'avoir raté le coche en 6ème. Au fond je nous crois trop idéalistes pour succomber sans remords à ce genre de commodité. Ou alors c'est une excuse qu'on se donne. Mais si c'était le cas j'imagine que nous serions allées jusqu'à nier l'existence d'une possible exception, ce qu'on ne fait pas. On peste contre l'amour facile, l'amour de confort, l'amour qui se ment à lui-même mais on suppose qu'une autre voie existe.
En gros on a sentimentalement 5 ans.